MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE 2 – Tobe Hooper (1986)


photos de 'Massacre à la tronçonneuse 2'


Évitons tout de suite un fâcheux malentendu : The Texas Chainsaw Massacre 2 n’est pas un mauvais film, ni même « à peine moyen ». Il s’agit indéniablement d’un des meilleurs métrages de Tobe Hooper, sans pour autant arriver à égaler le coup de maître réussi par ce dernier en 1973 avec la première aventure de la famille Hewitt. Pourquoi donc en faire un « film honteux » nous direz-vous ? Tout simplement en raison des yeux exorbités et des sourires moqueurs qui font face à ceux osant déclarer en public aimer ce film complètement barré ! Retour sur une comédie énorme et hautement jouissive qui, sous des allures de farce no limit, constitue une cinglante satire du système capitaliste.



Produit par la mythique Cannon de Golan et Globus (un réservoir inépuisable de « films honteux » !), Massacre à la tronçonneuse 2 porte clairement les stigmates de son époque, les années 1980, comme en témoigne la musique délicieusement kitsch (co-créée par Hooper lui-même) surchargée de synthétiseurs. Pas étonnant que beaucoup aient assimilé le métrage à une relecture parodique du film original et du genre en général : des acteurs cabotinant à mort, des personnages proprement hallucinants, caricatures outrancières et excessives de ceux de Massacre à la tronçonneuse. La scène du repas illustre de façon exemplaire ce décalage de ton, puisqu’elle se situe ouvertement dans le registre du comique « grand-guignol » lorsque celle du film de 1973 inspirait un profond malaise.
Une lecture analytique qui ne retiendrait que cet aspect du film ne lui rendrait cependant pas justice, ce dernier constituant une des rares tentatives du genre de critique de la « contre-révolution » libérale opérée par Ronald Reagan à son arrivée au pouvoir. Si le film est outrancier et excessif, c’est que le capitalisme néolibéral l’est aussi ! Un système et un état d’esprit insupportables, comme le sont ces deux jeunes yuppies affichant un sentiment de toute puissance et se croyant tout permis (destruction des panneaux publics de signalement sur le bord des routes, remarques salaces à l’encontre de l’animatrice-radio Stretch, « jeu du poulet » sur la route…). Louons notre bien-aimé Leatherface qui nous débarrassera de ces apprentis golden boys, dont l’un sera littéralement scalpé par le boucher le plus célèbre du Texas. « Deux voyous sans cervelle » fera remarquer Dennis Hooper , incarnant « Lefty » Enright un « justicier-vengeur »  traquant la famille Hewitt responsable de la mort d’un membre de sa famille. 


«SAW IS THE FAMILY»

Symbole d’une Amérique fascinée par la compétition et la réussite matérielle, le métrage tourne autour du concours du meilleur Chili de la région, remporté une fois encore par le patriarche « Cook » Hewitt dont la recette repose sur de la viande humaine. Le néolibéralisme s’est construit sur une logique d’exploitation de l’Homme, logique poussée dans ses derniers retranchements chez Hooper puisque confinant à l’anthropophagie. L’Homme se nourrit des autres, et y prend du plaisir ! « J’adore cette ville ! On y aime la bonne viande » se réjouira le père Hewitt. Une soif de chair fraîche pouvant même déboucher sur une forme d’auto-ingestion : le personnage de BM, hippie anachronique en pleine reaganmania et de retour du Vietnam avec une plaque de fer sur la tête, et qui se mange la peau du crâne à l’aide d’un cintre (!?!?!). Car si « tout est bon dans le cochon », tout est également comestible dans l’Homme. Vous reprendrez bien un petit peu de pâté d’yeux avant votre plat de résistance, non ?
Anciens bouchers mis sur le carreau par la concurrence des grands abattoirs, la famille Hewitt n’en reste pas moins attachée à leur métier : « on a été élevé dans la viande » rappellera « Cook » Hewitt. Comme pour nous signifier l’attachement et la croyance profonde au « Rêve américain », où l’enrichissement par le business est à la portée de tous.  Car en bon capitaliste chevronné, le père Hewitt consacre sa vie à son travail et veut vendre encore et encore pour engranger les bénéfices. Une logique d’accumulation que ne partagent visiblement pas ses deux fils, à qui il reproche de mettre en péril l’affaire familiale, déplorant le fait qu’ils passent l’essentiel de leur temps à écouter de la musique au lieu de contribuer par leur travail à pérenniser l’activité. Ou comment  l’économie de marché cherche à abolir tout comportement non-conforme à la soif d’argent et de réussite. Ce qu’avait déjà brillamment analysé Karl Polanyi dès 1944 dans La Grande transformation, évoquant la « société de marché » (construction socio-historique qui prit fin avec les crises politico-économiques du début du XXème siècle) où la logique marchande tendait à s’étendre à tous les aspects de la vie sociale. Comment dès lors « Cook » Hewitt pourrait-il accepter le passéisme hippie de BM ou le « romantisme » d’un Leatherface tombant amoureux de Stretch, attitudes aussi néfastes l’une que l’autre au développement de cette société marchande ? La tentative de maintenir en vie GrandMa et GrandPa – véritables fossiles vivants – témoigne de cette obsession de la survie dans un monde économique dominé par la compétition et la concurrence. Et quand le paternel peste à longueur de temps contre ces insupportables taxes si contraignantes pour son business et qui l’empêchent de s’enrichir (« Je devrais arrêter » se lamente-t-il), on retrouve les analyses théoriques des « Économistes de l’Offre » (Arthur B. Laffer en tête) dont la fronde anti-fiscalité a séduit et inspiré Ronald Reagan dans sa politique économique et sociale.


SEXE, GORE AND FUN

Si Massacre à la tronçonneuse a, par son titre et son interdiction pendant de nombreuses années en France, suscité de nombreux fantasmes chez ceux ne l’ayant jamais vu, il est bon de rappeler que quasiment aucune goutte de sang n’éclabousse l’écran et le spectateur. Une retenue dont ne fera pas preuve Tobe Hooper dans la suite des aventures de Leatherface et de sa famille. Sous la houlette du maquilleur génial Tom Savini (Zombie, Maniac, et tant d’autres), Massacre à la tronçonneuse 2 est aussi saignant qu’un succulent steak tartare. Au hasard : le yuppie décapité par Leatherface, le dépeçage au couteau électrique du visage de LG, collègue et ami de Stretch… Cette opération faciale visant évidemment la construction d’un nouveau masque pour « Tête de cuir », cherchant toujours à se cacher derrière des apparats de chair pour ne pas dévoiler sa difformité physique liée à une maladie infantile ayant rongé sa peau. Plus fondamentalement, l’utilisation récurrente de masques dans la saga renvoie à un déni d’individualité, ou plutôt aux difficultés pour Leatherface de se penser comme une individualité au sein de son « clan ». Rien d’étonnant à ce qu’il ait choisi ce moyen de protection, étant donné la brutalité et l’humiliation perpétrées par son père, qui le terrifie littéralement. Si le spectateur attend avec impatience ses apparitions à l’écran, lui recherche plutôt la discrétion et à rester dans l’ombre, pour preuve l’utilisation d’un pantin constitué de restes humains lors de son premier massacre, masquant pendant de nombreuses minutes le « marionnettiste ».
Mais son amour naissant pour Stretch – sentiment qu’il semble éprouver pour la première fois – fournit un autre sens à ces masques, la dissimulation de ses sentiments et la tentative de réprimer sa timidité. Pour approcher sa dulcinée, il sera obligé de lui mettre le masque de LG, avant de danser avec elle dans une séquence aussi drôle que dérangeante. Un rapprochement qui finira par mettre Leatherface dans un état d’excitation extrême, incapable de retenir plus longtemps ses pulsions sexuelles. Hooper nous balance alors une scène hallucinante où la tronçonneuse de notre jeune amoureux, après avoir été trempée dans un bac à glace, se déplace langoureusement sur les cuisses de Stretch puis glisse vers son entrejambe. Paniquée et horrifiée, la jeune fille comprendra rapidement qu’elle peut tirer parti de cette tension sexuelle consumant Leatherface, pour le perturber encore davantage et – paradoxalement – l’empêcher d’aller plus loin. Et elle de le chauffer, en lui confiant qu’il est décidément le meilleur, qu’il est « really, really good ». Des paroles qu’il ne supportera pas et mettront fin brutalement à sa découverte de la sexualité.
Petite sauce agrémentant ce délectable « morceau de viande pelliculé », les dialogues désopilants dans la bouche de Lefty (« je suis le Seigneur de la Moisson ! ») ou du père Hewitt : « C’est qui ? Le nouveau traiteur bio ? », ou encore « Le petit patron l’a toujours dans le cul » quand il évoque les impôts trop lourds, et faisant écho au malencontreux coup de tronçonneuse qu’il recevra plus tard. Et tant pis si Hooper frôle quelquefois le mauvais goût quand « Cook » Hewitt se réjouit des effets positifs de sa blessure à l’arrière train, à savoir la guérison de ses hémorroïdes et l’économie d’une visite à l’hôpital. Autre moment hilarant, la confrontation entre Lefty et Leatherface. Après avoir été se procurer des tronçonneuses dans un magasin de jardinage/bricolage comme s’il était dans une armurerie (scène très drôle où, sans prononcer un seul mot, il essaye différents modèles en comparant leurs maniabilité et puissance respectives, comme un cowboy le ferait avec des revolvers dans un western) Lefty provoquera en duel sa némésis dans un combat de tronçonneuses lourd de sens. Impossible de ne pas y voir une rivalité du type « C’est moi qui ait la plus grosse », révélateur de la compétition capitaliste (on y revient toujours). Ce n’est pas tant la recherche du profit qui importe que la volonté de dominer ses concurrents, la soif de pouvoir et de puissance sur ses adversaires, comme le remarquait l’historien  Alfred D. Chandler, pour qui les dirigeants d’entreprises privilégient plutôt la croissance de leur chiffre d’affaires – symbole de leur pouvoir sur le marché – à la maximisation du profit de leur société.
Maximisation du plaisir du spectateur quoi qu’il en soit, qui ressort comblé et rassasié de cette expérience cinématographique unique… Et obligé de desserrer d’un cran sa ceinture après cette orgie pantagruélique de rires et de sang !


Fabien Le Duigou