Ça ne vous aura pas
échappé, la France est en crise ! Et quand un pays
bascule, que peut-on faire ? Rire, pleurer, se saouler, jouer au loto,
changer de boulot, faire ses valises ? On ne le sait… Une chose est
sûre, c’est que les sourires sont de plus en plus crispés
et que les esprits s’échauffent. L’atmosphère
néfaste régnant actuellement sur le pays ne restera sans
doute pas sans effets et nous, petits Français, devront ronger
notre frein. Comme dans toutes les sociétés sujettes
à des chocs d’une telle ampleur, le domaine artistique ne sera
donc pas épargné. Le cinéma fera très
certainement naître à l’avenir des films plus sombres aux
dépens de la légèreté, de la douceur
et de
la franche rigolade. Ironie du sort, la France ayant toujours
été reine du comique à l’écran (au moins
jusqu’au milieu des années 80), on est en droit de se poser des
questions, dont une primordiale : qu’adviendra-t-il des comédies
« à la française » après la crise ?
Mais avant tout pessimisme surfait, faisons un petit bond en
arrière et rappelons-nous un peu du temps où rire avait
un sens. 1968, Robert Dhéry et sa bande de Branquignols se
lançait dans un nouveau projet avec le grand Louis De
Funès comme personnage central. De Funès étant
devenu synonyme de gros succès au cinéma à l’aube
des seventies, Robert Dhéry frappera là un grand
coup
avec son Petit Baigneur
mélangeant à merveille la recette
de la comédie drôle et burlesque à la caricature
d’une certaine forme de pouvoir hypocrite et dépassée par
les événements.
Le « Petit Baigneur », c'est un voilier qui vient de
remporter les
régates de San Remo et l’Oscar de la Voile. Son inventeur et
pilote, André Castagnier, et sa sœur Charlotte, qui
l'accompagne, ne sont pas peu fiers d'annoncer la grande nouvelle
à leur armateur, le bouillant Louis-Philippe Fourchaume. Mais
ils choisissent mal leur moment: celui du lancement, en présence
du ministre, d'un nouveau prototype des chantiers navals Fourchaume,
« L'Increvable », un superbe yacht dont la coque
crève sous le
choc de la traditionnelle bouteille de champagne ! Louis-Philippe
renvoie sur-le-champ le pauvre André, que sollicite Marcello
Cacciaperotti, un industriel italien qui vend des « Petits
Baigneurs »
à tour de bras.
On le sait, la majorité des films avec Louis De Funès ont
toujours été axés sur des personnages incarnant
des autorités ou des grandes institutions. Souvent
enrôlé dans des milieux comme celui de la police ou de la
grande bourgeoisie, son interprètation n’a pas
échappé à d’autres
étiquettes caustiques. Avec Le Petit
Baigneur, c’est au tour des
chefs d’entreprise d’en prendre pour leur grade. Avec le talent qui
l’incombe, on retrouve ici un Fufu à la silhouette de petit
homme irascible aux mimiques forcées en grimaces (ça ne
vous rappelle personne ?) et au jeu exaspéré faisant
transpirer un Fourchaume hystérique. Devant jouer de
stratagèmes multiples pour récupérer le gros lot,
le personnage principal fait de ce petit bateau un formidable
appât pour engranger un maximum d’argent. À voir
l’acharnement déployé, on peut dire que Le Petit Baigneur
est un film anticapitaliste tant la folie de l’argent fait tourner la
tête à tout le monde. Petit métrage franchouillard
avant tout et avant-gardiste après coup, le film de Robert
Dhéry se moque à merveille des mentalités
françaises où le petit capitalisme, l’attrait illusoire
de l’argent et le pouvoir à tout prix s’imprègnent
déjà dans toutes les couches de la société.
Et dans un nombre incalculable de gags et de situations loufoques,
c’est tout le pays qui se gausse devant un film qui enchaîne
parfaitement les drôleries toutes aussi réussies les unes
que les autres (tracteur devenu fou, disparition d’un homme dans une
flaque d’eau, cheval qui rit, voiture qui s’allonge et j’en passe).
Mais là où le film se révèle très
intéressant à analyser aujourd’hui, c’est dans sa
faculté à démontrer combien les choix de films de
Louis De
Funès étaient justes et prémonitoires. Sans
comparer notre cher président actuel à quelconque
personnage De Funèssien, il est amusant de scruter cette
politique de la décennie 2000 aux films de l’époque qui
ne se
gênaient pas pour égratigner les nantis. Monsieur
Fourchaume, à l’image d’un Sarkozy des grands jours qui
utiliserait les médias pour montrer au public qu'il demeure un
homme
fort (jogging dans les parcs), proche des gens (souvent dans les foules
pendant sa campagne) et sincère (jeux de regards intenses,
utilisation de mots forts dans ses discours et atterrements
perpétuels face à la situation actuelle), Louis De
Funès
fait exactement la même chose pour plaire à Castagner.
Fausse passion pour le canoë, exaltation pour sa maison de
campagne, grands sourires hypocrites ou faux accaparement de la
religion catholique avec une séquence d’anthologie dans une
église où la prière équivaut à la
production massive de Petits Baigneurs. Au fil des minutes, on comprend
que le quotidien des hommes de pouvoir devient une source comique
inépuisable pour un Robert Dhéry loin d’être un
branquignol.