Véritable parangon du divertissement de qualité, qui ne
prend donc pas le spectateur pour un simple bouffeur de pop-corn, la
saga Die Hard s’est peu à
peu imposée comme le
mètre-étalon du cinéma d’action. Comment expliquer
son succès, sa reconnaissance publique comme critique ?
Le 4ème épisode, sorti pendant l'été 2007,
a eu beau
tenter d’appliquer les mêmes recettes, l’essence de la
saga s’est volatilisée. Voilà une bonne
occasion de revenir aux sources du mythe et d’en explorer les
fondements. Die Hard premier du nom est
fondamental car sous ses airs de
série B friquée, il a, depuis sa sortie en 1988,
redéfini les standards du film d'action yankee.
Dès lors,
toute la production sera évaluée à l'aune du
chef-d’œuvre séminal de McTiernan.
Alors inconnu du grand public, c’est dans le giron du producteur Joel
Silver que John McTiernan aura l’occasion de s’exprimer.
Les projets de Silver sont avant tout caractérisés par
les 3 G : Glamour, Gros budget et Grosses explosions ! Mais aussi par
l'indéfectible instinct de ce mogul qui parvient souvent
à associer avec bonheur diverses sensibilités. Ainsi se
retrouve rassemblée une équipe pour le moins
hétéroclite : Steven E. De Souza (screenplay), Jan
de Bont (directeur de la photo et transfuge de chez Verhoeven),
l'étoile montante Bruce Willis, et Alan Rickman (acteur de
théâtre avant tout). Mais cette conjugaison de talents ne
vaudrait rien sans le génie de McTiernan qui a transcendé
ce script, disons-le, de série Z.
Plus que dans Predator, ce film
contient en germe ce qui
définira toute la filmographie de McT. Attirance pour les
héros solitaires contraints de s'adapter à un
environnement inconnu et hostile, jeu sur la communication
(difficulté linguistique, limitation des moyens techniques),
mise à l'épreuve physique, forte caractérisation
des personnages, nécessité d'un retour à un
comportement bestial.
Mais c'est bien sa mise en scène qui retient l'attention. Sous
ses airs de gros bourrin, McTiernan se révèle un
esthète toujours attentif à la composition des cadres, au
rythme et d'un classicisme absolus caractérisés par une
grammaire cinématographique des plus concises (le sens des
images est préservé malgré une éventuelle
absence de dialogues). Mieux, il est un véritable chantre de
mouvements de caméra alors inédits outre-Atlantique et
utilisés dans le cinéma européen depuis des
décennies.
Mais surtout, le réalisateur n'a pas son pareil pour
dépeindre la topographie d'un lieu (jungle
végétale ou urbaine, tour high-tech) en quelques
plans
tout en énonçant clairement les enjeux narratifs. Voir la
séquence où McClane pénètre dans la tour
Nakatomi. Son parcours, aboutissant à la fête
organisée à l'étage où travaille son
épouse, permet de présenter rapidement et simplement les
protagonistes et préfigure également le chemin
qu'emprunteront les «terroristes».
Entre guillemets car McT le malicieux a choisi de désamorcer
toute violence politique (donc réaliste) inhérente
à ce statut, faisant d'eux, in fine, de simples voleurs.
D'ailleurs tout le film baigne dans une certaine ironie – des propos
tenus par les bad-guys aux attitudes caricaturales des agents
fédéraux Johnson, en passant par le contre-emploi de
Willis évoluant habituellement dans un registre comique – qui
nous convainc que nous sommes en présence d'un pur
divertissement mais bien loin d'être simpliste.
La bande à Hans fait peut être sourire mais pas rire.
L'exécution plutôt sèche et violente de Takagi
atteste qu’elle demeure dangereuse et impitoyable.
Confronté à un nouveau type de menace, John McClane
trouvera son salut dans la verticalité, utilisant les
possibilités offertes par la tour. Son exploration sera
balisée de multiples repères visuels (le plus notable
étant le poster d'une charmante demoiselle très peu
vêtue !) qui permettront au spectateur de constamment se situer.
À tel point, qu'après visionnage, il sera presque capable
de dessiner les plans des différents étages.
La connaissance de l'agencement des lieux sera donc
déterminante, tout comme l'action du flic noir à l'allure
débonnaire qui sera le seul soutien de notre cow-boy solitaire
et surtout son seul lien avec l'extérieur. Leurs scènes
communes sont par ailleurs exemplaires de la maîtrise de l'espace
de McTiernan. Bien que tournées à plusieurs mois
d'intervalle, le placement précis de chacun dans le cadre et le
montage donnent l'illusion de la proximité et de la
réciprocité. Leurs conversations se déroulent
comme s'ils étaient face à face. Les voilà unis
par delà le cadre, par delà le temps.
De même certains champs/contre-champs sont avantageusement
remplacés par des travellings latéraux, liant un peu plus
chaque protagoniste. Un procédé rappelant les
décadrages propres aux reportages pris sur le vif et qui
renforce l'immersion dans la fiction. Cette façon de filmer
caméra à l'épaule sera d'ailleurs largement
employée et amplifiée dans le troisième
épisode.
Au-delà d'un simple actioner ultra jouissif, le film se
permet quelques digressions sur la doctrine alors en vigueur dans ces
glorieuses eighties.
À l'époque, certains studios hollywoodiens étaient
confrontés à la prise d'intérêt plutôt
agressive de compagnies japonaises. L'explosion de la tour Nakatomi est
à ce titre lourde de signification.
Alors que les années 70 étaient définies par le
doute envers les institutions (watergate oblige), les années 80
sont celles où les minorités se voient
méprisées. Une trahison des élites
symbolisée par le personnage d'Ellis, prêt à
«vendre» McClane pour s'en sortir. Et le sort qui lui est
réservé, une balle dans la tête, traduit assez bien
la position (certes radicale, ici) de McTiernan.
L'autre trait de génie du film est d'être parvenu à
renverser le rapport de force entre les preneurs d'otages et
l'électron libre McClane. Une fois qu'ils ont pris possession
des lieux, le seul danger, envisagé et envisageable, viendra de
l'extérieur. Or, ils ne sont pas du tout préparés
à affronter une menace interne et encore moins le boogeyman
McClane !
Et oui, ce brave John s'apparente clairement à ces tueurs
faisant le bonheur des slashers. Disparaissant et apparaissant
au gré du montage, c'est lorsqu'il se retrouve dans le
même cadre que ses adversaires qu'il devient mortel. À la
seule différence, qu'au lieu d'utiliser les interstices
aménagés par le hors-champ, ses déplacements
s'effectuent à travers des conduites d'aération et autres
cages d'ascenseurs.
Ensuite, il demeure menaçant parce que non identifié. Un
des enjeux majeurs sera pour lui de rester invisible, impossible
à circonscrire, anonyme.
Enfin, John McClane figure le chaos, le retour de l'organique dans une
société aseptisée. Il sue, râle de douleur,
saigne. Bientôt, c'est toute la tour (donc le film) qui se
retrouve maculée de son empreinte (autant celle de McTiernan que
celle de son alter égo filmique).
Le film s'assume complètement en tant que divertissement haut de
gamme et montre un réel respect pour son public en refusant tout
second degré ou cynisme. Il n'en reste pas moins qu'il est
imprégné d'une constante ironie confinant à une
certaine joie de vivre. L'hymne à la joie rythmant le
film et finissant par retentir dans toute sa splendeur lors de
l'ouverture du coffre, en demeure la parfaite illustration.
Et puis, John McTiernan saura rester humble alors que ce chef-d'œuvre
de virtuosité et d'inventivité aura traumatisé bon
nombre de réalisateurs américains qui s'y mesureront.
Par ses angles de caméra inédits, l'utilisation de
travellings coulants et de la steadycam, un montage fluide, le souci du
détail, Die Hard a
réinventé les codes
esthétiques usuels des blockbusters. Soit filmer
l'action
autrement. Une étiquette forcément réductrice
puisque le succès de ce film, devenu modèle à
reproduire, se définit aussi et avant tout par sa
capacité à démythifier les héros
monolithiques peuplant habituellement ce genre de fictions et son
caractère réflexif, à la fois sur le genre et
l'œuvre de McTiernan. Die Hard
pouvant s'envisager comme un reflet
inversé de Predator,
où déjà un groupe
d'hommes était décimé par une entité
indéfinie. McClane jouant ici le rôle de
l'«alien» et ce, à double titre, puisqu'il
est
à la fois étranger à la doctrine en vigueur et au
lieu d'action.
Mais au-delà d’un aspect «fun» et
décomplexé, McTiernan parvient malgré tout
à parsemer le film de considérations sociales et
politiques. Une critique à peine déguisée du
libéralisme sauvage et surtout une mise en valeur de
«l'homme de la rue», parfaitement personnifié par le
flic new-yorkais, John McClane. Attachement aux cols bleus qui
atteindra son paroxysme dans Die hard with a
vengeance – Une
Journée en enfer.